Vestige de la chapelle de la lumière maleterre de l'est, ann

C'est parmi cette nuit et le prix que coûtera son aube, entre les pierres de cette chapelle, que je ressens le besoin de commencer à retranscrire ce qui ne devra pas mourir tandis que nous partons tous vers l'inconnu. Je me nomme Oboron, j'appartiens à la race survivante des draeneïs, je suis paladin et m'apprête à vivre, avec ma guilde, les derniers jours du monde connu. Je frotte mes mains pour les dégourdir des crispations de l'écriture et de l'épée et tente d'en chasser le sang, la crasse et la peur. Je lève les yeux et je vois dans les lueurs du silence des visages qui me sont chers et que j'admire. Lüdmillu est en train de méditer et l'on entend presque dans son silence les arcanes où se puisent l'énergie de sa magie. Je vois aussi mon compatriote Elyos qui dort profondément, exténué par les sacrifices de la guerre et les peines de voir ceux qui lui étaient proches basculer tour à tour dans les ombres. Cleymore est là aussi et je souris en pensant que les gnomes ont une grandeur inégalée dans la générosité et le sens du devoir. Urseline, Moraea montent la gardent, je me sens en sécurité à côté d'elles et Lioumeï s'est endormi sur mes genoux. Je sens un souffle de fierté en les voyant tous, endormis, silencieux, méditants, mais jamais désespérés. La chapelle n'a plus rien de son aspect d'autrefois mais en ces temps où le monde devra se décider, elle a le mérite de recréer une chaleur qui ne se connaît plus. J'entends aussi l'écho des voix d'Hakimgom, de Xamathéos, de Charme et de Blondinette, mesurées mais fermes. Je me penche délicatement pour les observer et me rassure en me disant qu'ils nous ont conduit jusqu'ici et qu'il sauront faire le reste du chemin avec nous. Mon corps ne souffre pas, j'ai appris, par les grâces de la lumière, à chasser, jusqu'à la fatigue la plus enfouie, les peines du corps. Mais l'angoisse insidieuse de savoir que l'aube nous dirigera vers le dernier jour des temps me provoque des vertiges contre lesquels aucune magie n'est valable.
Je lève à nouveau la tête; Tonittico est assis les mains jointes sur le parvis de la chapelle et regarde les étoiles, imperturbable. Bassdwarf est adossé dans l'embrasure et fume une pipe longue et tranquille, tout en grommelant sur des choses qui pourraient paraître triviales mais qui font beaucoup de bien en ces jours où le goût de l'ultime ne quitte plus nos bouches. Bien d'autres sont là...mais si peu face à ce qui nous attend.

Un petit feu apprivoisé crépite délicatement entre quatre pierres et une odeur de café agréable emmêle sa saveur aux lumières confortables que le foyer déverse. Ardage a su créer et donner des choses inoubliables par ces petites pensées si pleines d'attention et la voir faire le café ne me fait pas oublier ce qu'elle vaut au combat.
Alors que j'écris ce mot, des images assaillent mon esprit, multiples, douloureuses, versées dans une longue procession de regards pétrifiés dans la terreur de l'instant de mort, dans l'imploration des agonies et dans la rage rouge qui écument aux lèvres des guerriers. Les armes transpercent les cuirasses, les écailles et les os. Les sorts embrasent de froid ou de flamme, les ombres reprennent à elles les créatures qui ont voulu les quitter, les poisons corrodent les chairs et la lumière chasse dans son éblouissement les damnés. Où était-ce? Les Forces liguées contre l'Outre-terre nous envoyé dans tellement d'endroit afin d'expurger le mal sans cesse croissant que je me résous, comme tous ici, à ne plus avoir le compte des choses et la mémoire des lieux de guerre.

Plus nous cherchions à éradiquer le mal afin de ne plus avoir à contempler la damnation nous soufflant son haleine au visage, plus la guilde prit de l'importance aux yeux des peuples libres et plus elle s'éloignait des premiers instants de sa naissance, en un temps qui, s'il n'était pas le plus heureux, n'était pas le dernier que nous puissions vivre.
Et pourtant c'est avec joie que je me souviens de ma rencontre avec Blondinette, du faux-pas dont elle m'a tiré et de la généreuse offre qu'elle m'a faite. J'ai découvert des gens désintéressés, ayant abandonné la cupidité, la couardise pour se réunir ensemble devant notre sort commun.

Je ne suis pas le plus puissant ici et d'autres le sont moins encore, mais chacun lève une même pierre à l'édifice de notre survie et tous prennent dans l'âme la même grandeur et les meneurs qui nous ont fait, n'ont trouvé de sens qu' à honorer la force de notre allégeance.

Je m'arrête un peu, je bois une gorgée de tisane chaude, qui chasse de l'intérieur le froid et l'engourdissement d'une nuit trop jeune dans une saison d'été hésitante. Les lanières de mon armure me font mal, j'aurai aimé les quitter et me délasser mais le combat est tellement proche...et mon tour de garde est dans une heure.
Je pose délicatement la tête de Lioumeï sur un mantelet plus confortable, elle ne se réveille pas. Je suis allé remettre une bûche sur le feu après avoir enjoins Ardage d'aller se reposer. Je songe maintenant à ce qu'était notre guilde, la force qui lui avait fait émerger des flots où se sont noyées les autres, pris dans la tempête des événements fatidiques qui se sont produits ces derniers mois.
Je repense à notre succès grandissant auprès des peuples résistants et fières, à ce jour mémorable à la Cathédrale d'Hurlevent où Elyos et Ardage se sont mariés et mon sourire se perd dans la tristesse d'un monde qui ne tient plus qu'au fil du jour qui se lèvera.

- "Les dragons de Sang" sont tous là dans cette chapelle et n'oublieront pas que le nom de notre guilde vient d'un pacte de sang fait avec l'un des derniers dragons sages avant qu'ils ne s'éteignent" nous avaient dit un soir les meneurs de la guilde et je me dis que demain, devant les centaines de milliers de créature qui se déverseront parmi les plaines d'un monde à l'agonie, j'aurai cette phrase à l'esprit plus que jamais.
Nous sommes l'une des dernières guildes et porteront le sacrifice des autres à l'ardeur de notre devoir de guerre. Demain et à la demande unanime de la guilde nous serons en première ligne... je me rappelle la brûlante fierté que nous avons ressenti d'être unis devant cette volonté d'en découdre et le respect dans le regard des gens de la Horde qui ont élevé en si haut point le mérite au combat.

Je vais poser ma plume un instant et la taire... je crois que l'aube est dans deux heures... ma respiration tremble un peu et je tais au fond de moi cette envie de pleurer sur le monde que nous avons perdu et sur ceux que nous perdrons demain. Mourir ne me fait pas peur, mais perdre les autres me plonge dans une horreur qui m'a fait quitté bien des nuits...Je ne le montre pas. Je m'arrête car je crois avoir entendu un bruit qui semble être le dernier du monde... il a tellement d'importance ce bruit; infime et noyé parmi les autres autrefois, aujourd'hui il se révèle du jour qui va naître et sonne à mon âme comme le bruit de ce que nous sommes :
Le cri d'un aigle.